Que dire ? Parfois trop, pense t'on ou pas assez
Que dire ?
Parfois trop, pense t'on
ou pas assez
Ou tout du moins
pas assez précisément,
pas encore assez précisément.
Alors souvent on choisit de se taire
Et de montrer, de saisir des instants qui disent.
(…)
Se taire même en photographie aurait été mieux, se dit-on souvent
et d’autres fois précisément le contraire.
On prend des photos, on en publie quelques unes,
on écrit des mots dans des cahiers, on écrit d'autres là, ici ou là...
Mais choisir les bons mots et les partager demande un soin infini, un temps infini
dont je manque
alors ce sont les mots des autres alors qui disent à ma place,
si bien, pour moi,
si souvent alors…
à défaut de…
C'est avec Christian Bobin, lu au petit jour, que j'ai traversé ce jour…
C’est comme une lecture croyante, cette lecture là…
et
l'incandescence de ces mots m'ont, je crois,
offert du bon tout au long du jour, me donnant à tort peut-être, raison.
Il me plaît alors de simplement déposer là,
pour la mémoire et en extrait seulement
la "vie passante"
(...)
La tristesse ce n'est pas la pluie
pas la douleur pas l'ennui
pas même le mal d'amour
La tristesse c'est
le manque de Dieu
comme on dit le manque
d'air ou d'argent
Une maladie de l'âme
un grave défaut de fraîcheur
(...)
la tristesse parle d'or
de raison de sagesse
Elle parle aussi beaucoup d'amour
sans connaitre son vrai nom
l'insouciance
Elle ne dit pas il faut vivre
elle dit il faut faire sa vie
et ce n'est pas pareil
et c'est tout le contraire
On fait sa vie
comme l'enfant fait sa punition
On s'emmure dans un travail une maison un âge
on fait comme font les autres
Le remède à la tristesse
celui qui trouve partout son bien
le bien dont il a besoin
pour grandir pour souffrir ou danser
celui qui jamais ne s'endort
sauf dans les hautes branches de l'arbre
de solitude
(...)
on ne refuse jamais assez de choses
dans sa vie
on se croit toujours obligé
d’aller quelque part de dire quelque chose
mais c’est à tort
(…)
J’ai bientôt quarante ans
je ne sais ce qui me reste
à vivre ou plutôt à jouer
Franchement quelle importance
l’étendue de lumière entre un matin et un soir
est déjà bien trop grande
pour qu’on puisse la remplir
comme il faudrait
Je ris je parle je marche
je regarde surtout
les gens les bêtes les choses
(…)
Je cherche ce que nous cherchons tous
la pureté
Oui tous nous la cherchons
cette chose sans prix
cette chose si pauvre
que le mot de pureté
est encore bien trop riche
pour la dire
et qu’il vaut mieux le remplacer
par celui de bonté
ou mieux encore par celui de
légèreté
mais il n’y a pas de mots dans le monde
il n’y a que des gestes
quels gestes accomplir
pour atteindre la vie pure
quel geste faire ou retenir
(...)
Quand on est amoureux on est comme celui
qui a mis son trésor
dans un champ
Il ne dort plus surveille le ciel
attend l'ondée redoute la grêle
espère la pluie désespère du soleil
ou le contraire
et ne sait bientot plus
où il en est où est son coeur
(...)
La vie passante. Christian Bobin.
Editions.Fata Morgana.